Frontex - Sénégal : vers un accord néocolonialiste dangereux pour les Sénégalais·es et les exilé·es - 2
Au Parlement européen, nous votions aujourd’hui un rapport qui appelait à encadrer strictement le déploiement de l'Agence européenne de garde-frontières Frontex au Sénégal. Mais la droite et l’extrême droite, en déposant et adoptant des amendements abjects, ont tellement dénaturé le texte initial que j’ai dû me résoudre à voter contre. Il n’y aura pas de position du Parlement européen sur les négociations et l’accord UE/Sénégal.
Déception et colère.
À l’origine, ce rapport soulignait le néocolonialisme d’un projet de coopération imposé par la Commission européenne au Sénégal (qui s’oppose à cet accord !) et qui renferme les germes de graves violations des droits des exilé·es. Alors même que la Commission européenne est incapable de faire respecter les droits fondamentaux sur son territoire, comme en témoignent les brutalités commises en Bulgarie sous l’égide de Frontex récemment révélées par Le Monde, il est inacceptable qu’elle élargisse sans cesse les activités et désormais l’espace géographique d’intervention de Frontex !
Cette course au déploiement de Frontex au-delà des frontières de l’UE n’a qu’un but : repousser les exilé·es et empêcher les départs vers l’UE, au mépris du respect des droits fondamentaux des plus vulnérables et de nos obligations en matière de droit d’asile et de protection. C’est pourquoi je dénonce fermement le projet d’accord UE-Sénégal !
En janvier dernier, je me félicitais de ce projet de rapport, fruit d’une solide coopération avec la rapporteure, ma collègue Cornelia Ernst. Nous avons travaillé ensemble pendant des semaines pour que le texte final du Parlement européen soit une véritable sonnette d’alarme et dénonce haut et fort un accord qui ne ferait qu’augmenter les drames de la migration et les mort·es aux frontières. C’était sans compter sur la droite et l’extrême droite, qui en ont décidé autrement. Désormais, au Parlement européen, tout texte dénonçant les agissements de Frontex ou appelant à contrôler ou restreindre ses activités est sapé par les nostalgiques de la colonisation et les tenants de l’Europe forteresse.
Les amendements déposés par les groupes de droite et d’extrême droite (LR, Reconquête) au Parlement européen sont venus dénaturer complètement le texte voté préalablement en Commission des Libertés civiles, et m’ont obligé à voter contre ce rapport ! C’est absolument scandaleux !
Il n’y aura donc pas d’alerte lancée par le Parlement européen sur les conditions de négociations de cet accord et les conséquences désastreuses du déploiement de l’agence Frontex au Sénégal et dans sa région. Droite et extrême droite continuent d’imposer leurs visions néocoloniales, à soutenir et glorifier Frontex dans sa lutte contre les exilé·es, à s’asseoir sur les droits fondamentaux. Désormais, elles entendent exporter sans contrainte ni garde fous leurs obsessions sécuritaires.
Le Rapport a finalement été rejeté aujourd’hui en session plénière du Parlement européen, n’offrant aucune perspective critique sur ce projet d’accord. La Commission européenne pourrait déployer Frontex au Sénégal sans garde-fous : je suis extrêmement préoccupé.
L’Europe dont je rêve, c’est celle qui questionne ses responsabilités et se réforme en conséquence. Une Europe solidaire et humaine qui accueille et protège.
Pour aller plus loin :
Vous vous demandez sans doute pourquoi j’ai finalement décidé de voter contre ce rapport en séance plénière au Parlement européen alors que je l’avais précédemment soutenu en Commission parlementaire. Il est question d’amendements, de lignes rouges et de votes clés. Je vous explique :
En Commission parlementaire LIBE, le texte proposé par la Rapporteure du groupe de La Gauche, Cornelia Ernst, et amendé par les autres groupes politiques, posait des conditions strictes à cet accord Frontex - Sénégal et exprimait parfaitement les craintes qui étaient les miennes. Le rapport a été adopté en l’état, mais à une très courte majorité, 35 votes en faveur, 31 contre (droite et extrême droite).
Nous savions donc que le vote en séance plénière, là où tous les eurodéputé·es votent, serait serré et que droite et extrême droite mettraient tout en œuvre pour affaiblir, voire enterrer, un texte critique envers Frontex et envers la manière dont les négociations avec le Sénégal se déroulent.
En amont du vote, 22 amendements visant à affaiblir le texte adopté en Commission LIBE ont été déposés : 18 par le groupe des Conservateurs européens du PPE (LR), 1 par l’ECR (Reconquête) et 3 par Renew (Macronistes).
Adopter, rejeter ou s’abstenir sur tel ou tel amendement ou telle ou telle partie du texte soumis au vote est généralement discuté et tranché lors des réunions de chaque groupe politique. Sur ce rapport, j’ai évidemment défendu le rejet de ces 22 amendements. J’ai également établi des lignes rouges et considéré comme clé 8 de ces 22 amendements. Les votes clés (key votes en anglais) ont pour objectif de désigner les amendements dont l’adoption dénaturerait à tel point le texte original que nous n’aurions d’autre choix que celui de voter contre et ce, même si le rapport comporte encore quelques avancées.
Lors du vote en plénière, 10 des 22 amendements ont été adoptés, dont 3 qui constituaient des lignes rouges autant pour moi que pour la rapporteure de La Gauche :
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D’abord, un amendement demandant d’intensifier les accords de ce type avec les pays-tiers, c'est-à-dire continuer de déployer l’agence Frontex pour “mieux” protéger nos frontières, augmenter le nombre de retours et empêcher les exilé·es d’atteindre le sol européen.
Pourquoi voter contre et en faire un vote clé ?
Il est aujourd’hui prouvé et documenté que Frontex a participé - ou a minima constaté - à des refoulements illégaux ou à des violations graves des droits humains des exilé·es, aux frontières européennes. Comment décemment croire que l’Agence européenne fera mieux, qu’elle empêchera de tels drames lorsqu’elle interviendra dans des pays notoirement connus pour violer régulièrement les droits fondamentaux des exilé·es tout comme de leurs propres populations ?. Multiplier ces accords avec ces pays c’est l’assurance de voir s’intensifier ces violations. C’est s’en rendre complices.
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Ensuite, un amendement qui appelle à conditionner tout accord conclu entre l’UE et des pays tiers, dont l’aide au développement allouée par l’UE aux pays tiers, à la réalisation d’objectifs en matière de prévention des migrations et de retours.
Pourquoi voter contre et en faire un vote clé ?
Dans le texte adopté en commission parlementaire, nous nous inquiétions au contraire de ce qu’une grande partie de l’aide au développement soit subordonnée à la lutte contre la migration irrégulière ! L’aide européenne au développement, déjà impuissante à contrebalancer les effets dévastateurs des politiques européennes sur les économies locales, doit être fléchée uniquement sur des projets de développement, certainement pas pour sécuriser les frontières ou empêcher les départs de celles et ceux qui subissent de plein fouet les conséquences des politiques européennes (commerce, pêche, agriculture etc.). Détourner l’aide publique au développement pour imposer des objectifs de contrôle migratoire à des pays tiers sont des pratiques néocoloniales qui doivent cesser, non être renforcées.
- 3 -
Enfin, un amendement où le Parlement européen se félicite de la coopération entre la Guardia civile espagnole et les autorités sénégalaises dans la prévention des départs irréguliers.
Pourquoi voter contre et en faire un vote clé ?
Ce sont ces mêmes autorités qui sont impliquées dans des refoulements illégaux et autres violations graves des droits des exilé·es ! Pas vraiment de quoi saluer le travail accompli...
Ces ajouts, extrêmement problématiques, nous ont contraint à voter contre ce rapport, ce qui a entraîné le rejet pur et simple du texte, le tout en accord avec la rapporteure de La Gauche.
D’autres amendements avec lesquels j’étais en désaccord ont été adoptés : ceux du PPE (LR) considérant que Frontex joue un rôle « essentiel » dans la protection des frontières extérieures de l’UE, notamment en augmentant les retours, sans aucune référence aux violations évoquées plus haut, ou ceux supprimant les références à l'absence de voies sûres et légales d'accès à l'UE et ses impacts sur la migration irrégulière ainsi qu’à la surreprésentation des pêcheurs parmi les exilé·es ; ceux du groupe Renew (macronistes) - aux vieux relents de Françafrique - qui veulent faire l’impasse sur les conclusions à tirer des réticences du Sénégal à mener ces négociations ou ceux qui suppriment la demande du Parlement européen de faciliter les délivrances de visa Schengen.
Avec ces amendements, droite, extrême droite et libéraux ont fait d’un rapport du Parlement européen s’inquiétant d’un potentiel accord entre Frontex et le Sénégal et des rapports de domination observés lors des négociations, un véritable plaidoyer en faveur de la poursuite de relations néocoloniales où l’UE exige et impose accords et conditions. Du déploiement tous azimuts de Frontex -sans renforcer ses obligations en matière de droits humains - à la sous-traitance de nos responsabilités et du contrôle des frontières extérieures européennes à des pays tiers, où, à l’aveuglement volontaire sur les causes de la pauvreté et de l’exil - conséquences directes de politiques européennes prédatrices - se mêle l’obsession d’une Europe forteresse.
Le rejet de ce rapport extrêmement critique sur la façon dont sont menées les négociations entre l’UE et le Sénégal, ainsi que leur teneur, est de très mauvais augure car la Commission européenne ne compte pas en rester là. Après l’accord sur le déploiement des activités de Frontex scellé avec la Mauritanie, celui en cours avec le Sénégal, elle s’apprête à signer prochainement un accord de même nature avec l’Albanie.
L’Union européenne repousse toujours plus ses frontières, ses responsabilités, ses valeurs.
Elle le fait en multipliant les accords de déploiement des activités de Frontex dans des États Membres de l’Union européenne qui n’ont pas encore rejoint l’espace Schengen ou, comme ici, dans des pays tiers. Elle le fait aussi en signant de plus en plus de « protocoles d’entente » avec les pays du pourtour Méditerranéen, pays d’origine et de transit, sur le modèle de ce qui a été fait avec la Tunisie, comme je vous le racontais ici en septembre 2023.
Depuis, avec la même logique néocoloniale et les mêmes objectifs de gestion des migrations et de contrôle des frontières, elle a signé un protocole de ce type avec la Mauritanie et l’Égypte, les 7 et 17 mars respectivement. Contre 7.4 milliards d’Euros sonnant et trébuchant, l’Union européenne pactise avec le diable dans le seul but d’empêcher les départs d’exilé·es vers l’Europe. Et tant pis si, depuis son coup d’état militaire de 2013, le régime du Président al-Sissi viole massivement les droits humains, emprisonne ses opposant·es, qu’il a réduit le système judiciaire à un outil au service de la répression et que l’opposition, la société civile indépendante et les médias libres ont été quasiment anéantis.
L’Union européenne, toute à son obsession sécuritaire, renforce sans vergogne les régimes autoritaires de la région, sans vouloir reconnaître que ces accords, en plus d’être indignes et inhumains, créent les conditions de migrations futures.
Ce n’est pas l’Europe que je défends !