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24 Novembre 2023

24 novembre 2021 - 24 novembre 2023 : le deuil impossible du naufrage le plus meurtrier dans les eaux de la Manche

Hasti, 7 ans. 
Mubin, 16 ans. 
Hadia, 22 ans. 

Trois enfants dont je continuerai de scander le nom et de raconter l’histoire.

Ces enfants ont perdu la vie il y a deux ans, jour pour jour, dans les eaux de la Manche. Ils n’étaient pas seuls. Leur mère, Kazhall Ahmad, était avec eux lorsqu'ils ont embarqué depuis les côtes dunkerquoises, en direction de l’Angleterre. Cette famille avait un rêve simple : celui de vivre. Le 24 novembre 2021, elle en est morte. 

Périr en mer n’était pas leur destin. Il n’était pas non plus celui des 27 autres passager·es de la même embarcation, décédé·es lors de ce naufrage. Une trentaine de vies perdues, entre la France et l’Angleterre, terrible conséquence de la militarisation croissante des frontières. Un naufrage de plus qui s’ajoute aux nombreux déjà répertoriés sur cette cartographie (trop) régulièrement mise à jour.

Douze heures de détresse en mer et plusieurs appels à l’aide n’ont pas été suffisants pour que les secours britanniques et français soient déployés pour venir en aide à cette embarcation. Pire, le centre régional de sauvetage a répondu avec cynisme aux naufragé·es, en bafouant le droit international. Ce naufrage est le résultat de politiques violentes, injustes et inhumaines qui doivent être combattues. Sans relâche.

Quelques semaines après le naufrage, l’association humanitaire Utopia 56 porte plainte contre les autorités françaises, appuyée par des membres des familles endeuillées, pour “homicide involontaire” et “omission de porter secours”. Le gouvernement français promettait alors une enquête interne. Elle n’a jamais vu le jour. Telle fut la - non - réaction du gouvernement Castex au naufrage d’exilé·es le plus meurtrier qu’ont connu les eaux de la Manche. L’indécence est telle que le souvenir de ce naufrage du 24 novembre 2021 reste vif.

Deux ans après, qu’est-ce qui a changé ?

Les politiques migratoires ultra-sécuritaires et inhumaines s’enchaînent, les États refoulent illégalement les exilé·es et les privent de leurs droits et de leur humanité. Deux ans après, leur dignité continue d’être piétinée par des gouvernements toujours plus cyniques.

Du côté français

Le nouveau et dangereux projet de loi (PJL) “immigration et intégration” porté par le ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer, Gérald Darmanin, vient d’être adopté par le Sénat le 14 novembre dernier. 29ème texte sur l’asile et l’immigration depuis 1980, il sanctuarise le recul du droit d’asile en France et des atteintes sans précédent aux droits fondamentaux des exilé·es. Alors que nous avons besoin de politiques d’accueil solidaires et dignes, capables, enfin, de traiter avec respect celles et ceux qui cherchent refuge en Europe, la France manque à son devoir d’humanité. Encore une fois !

C’est désormais au tour des député·es de l’Assemblée nationale de se prononcer sur ce texte : l’examen est en cours.

Du côté européen 

Comme vous vous en souvenez peut-être, un nouveau pacte sur l’asile et les migrations est actuellement en discussion. Il devrait être adopté avant les prochaines élections européennes qui ont lieu en juin prochain. Présenté en septembre 2020, cela fait plusieurs mois que je vous tiens régulièrement informé·es des avancées des négociations, puisque je défends la position de mon groupe politique, les Verts, sur l’un des textes du Pacte. C’est le règlement AMMR ou RAMM en Français (le règlement relatif à la gestion de l’asile et des migrations), qui prévoit de remplacer le règlement de Dublin. 

Ce nouveau pacte était l’occasion d’adopter une politique migratoire digne et solidaire envers celles et ceux qui cherchent refuge. Au contraire, les négociations actuelles prennent une toute autre direction : consolidation de la forteresse Europe, privations de liberté, filtrage et “tri” aux frontières selon les nationalités, expulsions, maintien des exilé·es dans une extrême précarité.  Ce pacte ne résout aucun des dysfonctionnements actuels du régime d’asile commun européen. Pire, il les exacerbe. Et c’est l’Union européenne toute entière qui piétine ses valeurs fondatrices et sabote le peu d’humanité qu’il lui restait. 

Deux ans après…

À chaque naufrage, la colère se mêle à l’espoir. Celui que les autorités se saisissent de ces drames, pour enfin élaborer des politiques qui mettent l’humain au centre, adaptées aux réalités et à l’immuabilité des migrations. Mais face aux milliers de morts à nos frontières, c’est la dimension ultra-sécuritaire qui sort chaque fois renforcée au niveau national comme européen. Avec en ligne de mire les échéances électorales et leurs avenirs politiques, les instigateurs de ces politiques criminelles feignent d’ignorer que fuir les persécutions et la misère n’est pas un choix mais une question de survie. Personne ne quitte son pays et sa famille sans y être contraint par les tragédies de la vie. Je le rappellerai tant qu’il le faudra. 

Halte à la criminalisation de la solidarité en mer !

Le naufrage du 24 novembre 2021 n’est qu’un cas parmi de nombreux autres comme l’illustre tristement cette cartographie. De la Manche à la Méditerranée, en passant par l'océan Atlantique (route des Canaries), les mers qui bordent l’Union européenne sont devenues de véritables fosses communes. Les Etats membres, eux, se contentent de se renvoyer la balle et la responsabilité à chaque naufrage. Le bilan de leur inaction est insupportable : 385 décès d’exilé·es en Manche depuis 1999, 2166 en Méditerranée depuis le 1er janvier 2023. Sur cette route migratoire, la plus meurtrière de toutes, 27 364 personnes sont mortes et portées disparues depuis 2014 selon l'organisation internationale des migrations (OIM).

Face à l’absence de volonté et de coordination des autorités européennes, les solidaires s’organisent pour porter secours aux exilé·es en détresse, à l’instar de SOS Méditerranée avec son navire, l’Ocean Viking, Médecins Sans Frontières avec le Geo Barents et tant d’autres. Le comble ? Alors qu’elles et ils pallient les manquements des Etats, ces volontaires se voient régulièrement criminalisé·es pour leurs actions ! Amendes, immobilisations des navires, détention : cette criminalisation de la solidarité est meurtrière. Sauver des vies n’est pas un crime. Priver les naufragé·es de secours, oui. 

Le décret Piantedosi du 2 janvier 2023, du nom du Ministre de l'Intérieur italien à son origine, l’illustre parfaitement : suite à son application, les navires des ONG de recherche et secours en mer ont subi treize immobilisations en 2023. Privée de ces précieux effectifs de sauvetage, la Méditerranée centrale a connu son année la plus tragique. C’est insupportable !

L’Union européenne et ses États membres doivent organiser et financer une mission européenne coordonnée de recherche et de secours en mer pour en finir avec ces drames. Ils en ont la compétence et les moyens. Il leur manque la volonté de sauver des vies. Celle d’Hasti, 7 ans, de Mubin, 16 ans, d’Hadia, 22 ans. Celles de toutes celles et ceux que nous pleurons ce jour.

L’externalisation de la gestion de la migration aggravera encore la situation !

En parallèle du pacte européen sur l’asile et les migrations que nous négocions en ce moment, l'UE tente par tous les moyens de se décharger de ses responsabilités en coopérant avec des pays tiers. Cette logique  d'externalisation des politiques d'asile  qui consiste à repousser artificiellement les frontières de l'UE en dehors du continent est illégale et dangereuse. A ce jeu, l’Union européenne et les Etats membres rivalisent d’ignominie. Quand le Royaume-Uni passe des accords avec le Rwanda pour externaliser les procédures de demandes d’asile, l’UE, elle, signe un “Mémorandum d'entente sur un partenariat stratégique et global” avec la Tunisie, un régime autoritaire où violations des droits humains et violences extrêmes envers les exilé·es sont légions, pour sous-traiter les procédures de retour, dans les deux cas en échange d’espèces sonnantes et trébuchantes.  Et tant pis, si ces pays tiers prennent quelques libertés avec les droits humains. Se décharger de sa responsabilité en matière d’asile, d’accueil et de protection des exilé·es n’a pas de prix pour l’UE et ses États membres. 

Irresponsable, inhumain, indigne : ce nouveau stratagème d’un cynisme crasse doit cesser ! L’externalisation des demandes d’asile ne changera rien : les chercheur·ses de refuge continueront de prendre les routes de l’exil pour essayer de sauver leur vie, les drames humains continueront de se multiplier et l’UE et ses États membres auront toujours plus de sang sur les mains. 

Un espoir émerge toutefois : celui de la justice ! Alors que le Royaume-Uni avait conclu un partenariat avec le Rwanda pour que l’examen des demandes d’asile formulées par les exilé·es soient traitées par Kigali, le 15 novembre, la Cour suprême britannique a jugé illégal cet accord puisqu’il contrevient au principe de non-refoulement.

Le 24 novembre 2023, se souvenir et résister

Le 24 novembre 2023, je me souviens et je ne dévie pas de ma ligne. Pour le respect des droits humains, pour la mémoire d’Hasti, d’Hadia, de Mubin et de leur mère Kazhall, pour les vingt-sept personnes décédées en mer le 24 novembre 2021. Pour tous·tes les autres. Nous continuons de porter leurs souvenirs et leurs voix. Nous nous battons sans relâche !

Vos histoires ne seront pas oubliées. Elles sont ici, cartographiées. Vous n’êtes pas anonymes. Vous êtes celles et ceux dont l’Europe et ses États membres ont volé le futur. Vous n’êtes pas une foule d’inconnu·es. Vous êtes chacun·e un être humain singulier avec ses rêves, ses peurs, et l'espoir d’une vie meilleure. Vous n’êtes ni illégaux·lles, ni criminel·les. Vous êtes celles et ceux que je continuerai de défendre.

# LES FAITS - Les naufrages en Manche

· 385 personnes au moins sont décédées en tentant la traversée vers le Royaume-Uni, depuis 1999

· “Opal Coast” : voici le nom de l’opération de surveillance aérienne mise en place depuis décembre 2021 par Frontex. L’objectif est d’aider la France et la Belgique dans la surveillance des traversées irrégulières dans la Manche. Son efficacité ? Insuffisante. 👇

· 45 nouvelles victimes ont été recensées depuis le naufrage de novembre 2021. Chaque année, les décès à cette frontière augmentent. La réponse européenne n’est pas à la hauteur des drames qui s’y déroulent. Ce n’est pas d’une mission de surveillance par Frontex dont nous avons besoin en Manche, mais bien d’une force européenne de sauvetage.

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