Un plan de lutte contre la fraude fiscale sans objectif et sans moyen
Hier, le ministre de l’Action et des Comptes publics Gabriel Attal, a présenté en grande pompe le plan de lutte contre la fraude fiscale du gouvernement. Pourtant, passé l’effet d’annonce, le compte n’y est pas. Je vois ce plan comme un petit virage à gauche, en attendant, dans quelques semaines, un virage à droite toute avec le plan de lutte contre la fraude sociale.
Un plan très loin du compte
Le point de départ de toute lutte contre la fraude fiscale digne de ce nom serait de la chiffrer. Dans les annonces de Gabriel Attal, pas d’objectif ciblé, renforçant ainsi le sentiment qu’il ne s’agit que d’une simple annonce. Pourtant, les chiffres de la fraude fiscale sont largement connus : entre 80 et 100 milliards d’euros par an, selon l’INSEE, en 2022 ! Excusez du peu !
Entre 80 et 100 milliards d’euros par an de fraudes fiscales
À cela, ajoutez les fraudes aux cotisations sociales, lorsque les employeurs « omettent » de déclarer des heures travaillées, dont 580 millions d’euros émanent de la seule Mutualité Sociale Agricole. Cette addition-là représente de 6,8 à 8,4 milliards d’euros par an, selon la Cour des comptes.
Entre 8 à 8,4 milliards d’euros par an de fraudes aux cotisations sociales
Pourquoi ce mutisme ? Pour éviter de souffrir la comparaison avec la fraude aux prestations sociales, laquelle serait selon le gouvernement une calamité très couteuse pour le budget de l’État ? Comparons les chiffres : cette fraude dont parle sans cesse ce gouvernement n’est « que » de 324 millions d’euros sur les 84 milliards d’euros de prestations sociales délivrés chaque année par la CAF ! Les « pauvres » ne peuvent pas tricher eux… Parce que « les pauvres » sont tout particulièrement surveillé·es : 35,6 millions de contrôles des allocataires ont lieu chaque année (31,6 en contrôle automatique et 4 millions en contrôle humain) pour 13,6 millions d’allocataires.
Face à la fraude fiscale, il est temps d’agir !
C’est en effet à cette fraude-là, massive, celle qui fragilise nos sociétés, nos services publics et la solidarité, qu’il faut s’attaquer d’urgence. Mais pour cela il faut des moyens. Des moyens humains, notamment.
Quand le gouvernement annonce « généreusement » la création de 1 500 postes de fonctionnaires pour grossir les rangs des contrôleur·ses de la Direction Générale des Finances Publiques (DGFIP), il omet de citer les 25 000 postes supprimés depuis 2010 dans cette direction. 3 500 sur les seules années 2021 et 2022. Moins on cherche, moins on trouve.
25 000 postes supprimés depuis 2010 à la Direction Générale des Finances Publiques
Comment dès lors croire sérieusement que la DGFIP va réussir à effectuer 25% de contrôles fiscaux en plus sur les gros patrimoines, contrôler tous les 2 ans les 100 plus grandes capitalisations boursières ou envoyer - très bonne chose par ailleurs - des agents des finances publiques dans les pays tiers non-coopératifs, les fameux paradis fiscaux ?
Récupérer 80 à 100 milliards par an d’argent public mérite qu’on s’en donne les moyens. Et là, le compte n’y est pas !
On nous annonce des sanctions contre ces méchants fraudeurs. Pourtant, rien de nouveau :
- Suppression du droit de vote si fraude avérée ? Déjà dans l’article 1741 du Code général des impôts.
- Travaux d’Intérêt Général pour fraudeurs ? Déjà prévu au code Pénal
- Le « délit d’incitation à la fraude fiscale » ? Dans les faits, ça ressemble drôlement au délit de complicité de fraude fiscale qui existe déjà.
Seule la privation des crédits d’impôts est nouvelle, ce qui est la moindre des choses, vous en conviendrez.
On nous annonce la création d’un Observatoire de la Fraude Fiscale et d’une « COP fiscale ». Passé l’effet d’annonce, ça ne sera sans doute qu’une coquille vide. Ne pourrait-on pas simplement s’appuyer sur l’excellent travail d’économistes spécialisé·es, des ONG, ou des journalistes qui ont mis au jour d’énormes scandales fiscaux ?
Et sinon, la fraude à la TVA qui représente près de 25 milliards des 80 à 100 milliards de fraude fiscales par an ? Le ministre de l’Action et des Comptes publics n’a même pas pris la peine de l’aborder dans sa présentation.
Enfin, quid du « verrou de Bercy », ce mécanisme judiciaire d’exception qui ne permet à la justice d’enclencher des poursuites en matière fiscale qu’après une plainte de l'administration fiscale et qui donne toute latitude au ministère de l’économie, de passer des petits arrangements avec des fraudeur·euses repenti·es ? S’il a été quelque peu débloqué en 2018, il conviendrait de le faire sauter définitivement.
La justice doit s’appliquer à tou·tes de la même façon !
En tant qu’écologiste engagé sur les questions de justice fiscale, je salue la priorité annoncée de lutter contre la fraude fiscale. Mais je déplore le manque de moyens véritables accordés à ce combat primordial. Lutter contre la fraude fiscale, c’est lutter contre cette inégalité insupportable qui fait que les plus riches usent de tous les stratagèmes possibles pour éviter de contribuer au bien commun. C’est lutter pour autant d’argent public en plus pour financer les services publics et les grands chantiers de transition écologique et sociale. Une première étape indispensable pour une société plus juste, plus sociale et plus écologique, donc. Vous pouvez compter sur moi pour continuer à mener ce combat.