VENDREDI 19, SAMEDI 20 et DIMANCHE 21 FEVRIER 2021. AUX CONFINS DE L’ABSURDE
Ce quatrième tour de garde des Maraudes Solidaires était également assuré par Gwendoline Delbos-Corfield, députée européenne. Arrivée à Briançon vendredi 19 février, elle rejoint à son tour les bénévoles pour la première maraude d’une longue série.
« Le soir dans Montgenèvre, désert après 18 heures, se joue un sordide jeu du chat et de la souris, absurde, sinistre et parfois violent. La police suit les maraudeurs, les maraudeurs circulent dans le village pour tenter d’épauler les exilé·e·s malgré cette présence policière oppressante, la police les contrôle, les maraudeurs repartent, re-contrôle. Et rebelote.
Agacement, tristesse, colère même. Les bénévoles ont accumulé des milliers d’euros d’amendes pour un soit-disant non-respect du couvre-feu en janvier et février. Les exilé·e·s se perdent dans la montagne, tombent et se blessent, ou se brûlent les pieds au point parfois de se faire amputer.
Forces de l’ordre et bénévoles sont épuisé·e·s par ce scénario exténuant qui se répète chaque soir, imposé par le plus haut niveau de l’État en dépit du bon sens républicain, gestionnaire et humaniste.
Les équipes de gendarmes comme celles de la police aux frontières ont été renforcées en masse ; deux pick-ups remplis de sentinelles de l’armée, avec leurs mitraillettes, sont apparus cet hiver ; la police italienne fait des allers-retours incessants en pleine nuit pour ramener les exilé·e·s attrapé·e·s par la police française et les déposer au refuge créé par La Croix Rouge côté italien, à Oulx, vingt kilomètres en dessous du poste frontière français. Des personnes exilées qui n’ont rien, qui ne coûteront rien à la société française, dont on sait trop bien combien celle-ci exploitera leur force de travail le moment venu ; des exilé·e·s qui veulent juste traverser le pays pour aller ailleurs car l’Allemagne accueille mieux ; des exilé·e·s qui ne peuvent pas revenir chez eux quoiqu’il arrive ; des exilé·e·s parfois avec enfants et bébés.
Installée dans la voiture de Médecins du Monde, j’ai vu les voitures de police et de gendarmerie nous suivre à un mètre, constamment. J’ai été contrôlée en trois jours plus souvent que je ne l’avais été sur le territoire français en 43 ans d’existence. Tant pis pour la raison, le simulacre se met en place à chaque fois : carte d’identité, badge de parlementaire, attestation de couvre-feu jusqu’à minuit, deuxième attestation de couvre-feu après minuit.
« Vous faites quoi ? »
« Une maraude. »
« Ah. Ok. On va juste vérifier vos papiers. »
Ils partent faire des photos de nos papiers dans leur véhicule. Pour moi, qui travaille au Parlement sur les questions de surveillance des populations et constate la mise en place de politiques publiques sécuritaires, je suis servie.
Ces deux journées et deux nuits de Maraudes Solidaires furent riches de rencontres et d’observations : une sorte de mission parlementaire sur le territoire pour voir de près comment un État-Membre, la France, mon pays, respecte ses obligations en matière de droit d’asile et droits des migrant·e·s. Ou comment, peut-être, au contraire, cet État-Membre sous-traite avec cynisme sans l’avouer à des bénévoles tout le travail d’accueil...
À Briançon, à Montgenèvre, venues de tous les villages alentours, et de plus loin encore en France, des personnes donnent de leur temps et une énergie immense pour éviter que des drames ne se produisent. Je les ai accompagnées quelques heures dans leur mission. J'ai vu leur détermination, leur courage, leur fatigue aussi.
J’ai constaté lors de ce week-end ce que les bénévoles rappellent toujours : celles et ceux qui sont poussé·e·s par le désespoir et la misère, et qui fuient parfois le pire, sont prêt·e·s à braver tous les dangers. Les États peuvent fermer les frontières, augmenter le nombre d’agents des forces de l’ordre, équiper les hommes d’armes, renforcer les contrôles en prétextant confinement ou couvre-feu, si des femmes et des hommes ont besoin pour survivre de passer la frontière, ils passeront. Avec les températures négatives et les chutes de neige, avec les risques en montagne, avec la peur, le froid et la faim, avec les refoulements sans ménagements de la police française, ils passeront. Ils sont refoulés une fois, deux fois, cinq fois. Ils sont blessés, ils sont encore plus fatigués, ils tenteront un chemin plus périlleux encore et plus loin du regard de la police, mais ils passeront encore. Un jour, ils seront passés. La police aux frontières le sait, les agents ne sont pas dupes, mais ils retardent le passage de quelques jours ou quelques semaines. »
Les maraudeuses, les maraudeurs savent tou·te·s pourquoi elles et ils sont là : pour ne pas perdre une part de leur propre humanité en détournant le regard.