VENDREDI 29 JANVIER 2021. IL Y A UN AVANT ET UN APRES.
Il est presque 19 heures : Benoit Biteau, député européen, donne le coup d’envoi de nos Maraudes Solidaires. Le temps est glacial. Dans la nuit, plongés dans la neige, les bénévoles l’emmènent dans leur travail de fraternité. Durant 24 heures, Benoit les accompagne. Ses mots, à son retour, sont sans appel :
« Il y a un avant et un après. Après cette nuit et cette journée, aucun retour en arrière n’est possible. »
« La première info que j’ai, quand j’arrive à Montgenèvre, c’est que les forces de l’ordre viennent de verbaliser Médecins du Monde : ils leur demandent de quitter la ville. Je sens la pression, la tension. Je ressens beaucoup de respect pour ces citoyens qui s’engagent et y passent un temps incroyable. Ils puisent dans leurs ressources physiques, ils jalonnent les montagnes pour essayer de porter secours à des personnes en difficulté dans la neige à des températures extrêmement basses. Ça force le respect. Ils sont nombreux, et j’y ai croisé beaucoup de jeunes animés par un humanisme, par la fraternité.
Ce qui est révoltant, c’est la façon dont les représentants de la République – forces de l’ordre, qu’elles soient Police aux Frontières ou gendarmerie, la Préfecture, gèrent cette situation-là. Traquer des êtres humains comme des animaux dans les bois : cette façon de faire amplifie les risques pris par tout le monde. La traque également des bénévoles qui essaient de porter assistance aux personnes en quête de refuge est insupportable.
Ce n’est pas ça, la République en laquelle je crois.
Ce n’est pas ça, la République qui inscrit sur le fronton de ses mairies « Liberté, Egalité, Fraternité ».
Ce n’est pas ça, la République des droits humains qui s’est construite sur le socle de l’humanisme et de la solidarité.
Ce n’est pas ça.
Les personnes exilées que j’ai rencontrées sont des gens qui ont un fort niveau d’étude, qui sont parfaitement pacifiques, qui recherchent l’hospitalité parce que dans leur pays les conditions de vie sont insupportables. Ce sont des gens qui prennent des risques énormes, qui ont fait le choix de s’éloigner de leurs racines, des terres où ils sont nés, ce qui est extrêmement douloureux, dans des conditions très précaires. L’alibi qui consiste à dire qu’on ne peut les accepter sur notre territoire car ils sont de potentiels terroristes est absolument fallacieux. Intolérable. Les décisions d’État qui sont prises le sont elles aussi : surtout, elles sont illégales.
La première maraude dans laquelle je m’engage à mon arrivée ce soir-là consiste donc à retrouver les forces de l’ordre qui ont verbalisé Médecins du Monde : la situation est inédite. Après discussion, le capitaine de gendarmerie appelle ses supérieurs hiérarchiques et efface la verbalisation : je vérifierai que cet engagement a été tenu.
Le bras de fer, c’est la détermination… et déterminés, nous le sommes : dans le retour des valeurs de la République, du respect de la loi ; dans notre volonté à ne pas laisser faire l’insupportable.
Il est désormais minuit et demi. Trois personnes émergent dans la forêt, elles ont quitté leur pays, l'Iran, car la vie n'y est plus possible, et viennent demander l’asile. Ils sont tous trois dans un état de santé délicat : l’un a des fortes douleurs abdominales, un second a les ligaments croisés de son genou dégradés, il a beaucoup de difficultés à se déplacer dans la neige. Le troisième est lourdement blessé, il est parti d’Iran depuis deux ans et cinq mois, et après avoir traversé des zones enneigées et très froides, il a des orteils nécrosés.
Les bénévoles, sur place, forcent le respect et l’admiration. Ils sont dévoués, véritables montagnards qui savent que les passages empruntés par les chercheurs de refuge sont dangereux : à certains endroits les risques d’avalanche sont sévères, et pour éviter que ces gens soient pris dans des avalanches, ils prennent eux-mêmes les risques sur ces chemins dangereux. Pour éviter le pire. La pression que les forces de l’ordre exercent sur eux est un sujet de fatigue, d’inquiétude, même si beaucoup ont des capacités physiques énormes.
Engager ces Maraudes Solidaires, c’est déterminant : nous devons, nous, les représentants de la République, de l’Union européenne, dénoncer le non-respect des lois qui régissent le statut des personnes qui demandent l’asile. C’est déterminant.
Ne pas rester hors sol, ne pas se contenter de discours officiels.
Le même sujet se passe dans les Pyrénées, au col du Portillon, proche de chez moi : il ne faut pas laisser les frontières occupées par les identitaires qui entretiennent une confusion entre des démarches officielles et des démarches parfaitement outrancières. Leur logiciel est à vomir : il ne faut pas laisser ces gens-là occuper le terrain. »