Grupa Granica et Médecins Sans Frontières. Elles et ils m’expliquent les dynamiques entre les différentes organisations et activistes présent·es à la frontière, et nous échangeons sur les enjeux d’une stratégie commune de coordination, en particulier avec les élu·es de la région. Enfin, avec les élu·es présent·es et les activistes, nous essayons d’élaborer une stratégie pour alerter le nouveau gouvernement de Donald Tusk sur la nécessité d’arrêter immédiatement les pushbacks à la frontière.
Au cours de nos discussions, ils et elles me rappellent que l’ancien gouvernement polonais imposait aux exilé·es de se rendre à l’un des six points pré-déterminés de passage à la frontière pour demander l’asile légalement. Leur approche était la suivante : si vous êtes présent·es ici illégalement, c’est-à-dire que vous ne faites pas une demande d’asile, c’est votre responsabilité si vous périssez dans la forêt de Białowieża.
Maintenant que le gouvernement ultraconservateur du PiS est remplacé par une coalition pro-européenne, il faut revenir sur ces fameux points de passage à la frontière. J’apprends en échangeant avec les associations que tous les points de passage frontaliers sont désormais fermés du côté belarusse. On empêche les exilé·es d’y accéder ! Je n’en suis malheureusement pas étonné : le Bélarus, que l’UE dépeint comme un “pays sûr”, multiplie les atteintes à la vie des exilé·es. Les chercheuses et chercheurs de refuge n’ont donc pas d’autre choix que de franchir illégalement la frontière. Maintenu·es délibérément dans l’irrégularité d’un côté de la frontière, criminalisé·es de l’autre. C’est le serpent qui se mord la queue. Et la vie des exilé·es n’est plus qu’un pion dans un jeu géopolitique mortifère entre un gouvernement européen illibéral et une dictature pro-russe
Le lendemain, mercredi 10 janvier, je m’entretiens avec des représentant·es de l’organisation d’action humanitaire polonaise Polish Humanitarian Action - PAH, fondée il y a 30 ans par ma collègue eurodéputée Janina Ochojska. Cette organisation est l’une des plus importantes en Pologne en termes d’action humanitaire avec des programmes partout dans le monde (Somalie, Soudan du Sud, Yémen, Ukraine…). Depuis la fin de l’année 2021, la PAH coordonne une mission à la frontière avec le Bélarus, en soutien aux mouvements solidaires déjà présents.
Nous nous retrouvons dans l’un de leurs entrepôts à Bialystok, où des équipes logistiques gèrent les stocks pour les opérations d’aide humanitaire à la frontière. J’en apprends plus sur les conditions de vie des exilé·es en Pologne, après leur traversée de la frontière.
Le constat est clair. À la frontière entre la Pologne et le Bélarus, l’Etat de droit n’est plus.
Il nous restait à aborder le pire : les pushbacks ou refoulements illégaux.
Un pushback est défini par le droit international comme : “diverses mesures prises par les États qui ont pour conséquence que les migrants, y compris les demandeurs d'asile, sont sommairement renvoyés de force dans le pays où ils ont tenté de traverser ou ont traversé une frontière internationale sans avoir accès à la protection internationale ou aux procédures d'asile ou sans qu'il ne soit procédé à une évaluation individuelle de leurs besoins de protection, ce qui peut entraîner une violation du principe de non-refoulement".
Dans la forêt de Białowieża, les pushbacks sont légion. Sur 17 000 personnes qui ont essayé de franchir la frontière, 3 000 personnes au moins ont déclaré avoir expérimenté des pushbacks. Soit ⅓ des personnes aidées par l’association Grupa Granica. Si je suis étonné par ces chiffres, je ne découvre pas l’existence de ces pratiques illégales à la frontière polonaise, nous en avons largement débattu au Parlement européen. C’est pourquoi, lors de ce déplacement, nous avons mis un point d’honneur à agir contre ces pushacks. Je vous raconte !
Sur le terrain, l’ensemble des solidaires à la frontière s’accorde : mettre fin aux refoulements illégaux est la priorité absolue. Pour ça, il faut réussir à obtenir un rendez-vous avec le nouveau Premier ministre polonais, Donald Tusk. Leurs demandes sont claires : d’abord, stopper les pushbacks, ensuite, faire reconnaître le caractère contre-productif du mur, et le réduire progressivement plutôt que de le consolider.
En ce sens, nous avons organisé avec ma collègue Janina Ochojska une conférence de presse, directement dans la neige et le froid, pour alerter les journalistes sur les pushbacks en cours, et interpeller le nouveau premier ministre Donald Tusk. Les refoulements étant illégaux, nous sommes extrêmement inquiets quant aux menaces et atteintes à l’Etat de droit en Pologne. Sur cette question, le premier ministre polonais peut agir !
Dans le même temps et pour accentuer la pression, les ONG lui ont adressé un courrier pour exiger la fin des pushbacks et exprimer leur profonde inquiétude concernant le respect de l’Etat de droit en Pologne. Vous la trouverez ici, traduite en français par mon équipe. Plus nous serons nombreux·ses à interpeller le gouvernement polonais, plus plus nous aurons de chance de faire entendre la voix des humanistes, des solidiaires, des défenseur·ses des droits, notre voix, sans qui l’Europe ne serait plus qu’un ilot, barricadé derrière des murs protégés par des hommes surarmés. Nous refusons que l’Europe forteresse gagne. Avec elle, c’est l’Etat de droit qui disparaît, et tout le projet européen de paix et de justice qui s’évapore. Sur le terrain, fort des échanges avec les associations, les activistes et les élu·es de la région, je veux porter un message d’espoir : battons-nous ensemble, pour que les droits humains ne soient pas qu’un projet et un rêve, mais une réalité de chaque instant, à chaque frontière et partout dans l’UE.
Cette mission sur le terrain touche à sa fin, mais mon esprit, lui, est toujours au milieu des épicéas enneigés. Entre paradis et enfer, je quitte la Pologne avec une énergie et une volonté démultipliées, pour poursuivre mes combats pour le respect des droits fondamentaux et l’Etat de droit partout dans l’Union européenne, aussi bien que pour la préservation de la biodiversité, le respect de l’environnement et le climat. Sur place, nous avons alerté le gouvernement local, nous avons apporté notre soutien à tous·tes celles et ceux qui œuvrent, d’un côté pour la préservation de cette forêt primaire, de l’autre pour les droits des exilé·es.
Je leur ai promis de relayer leurs luttes, leurs craintes et leurs espoirs, de vous informer et qu’ensemble, nous puissions alerter et lutter contre le double désastre en cours à Białowieża.
Quand je vais à votre rencontre, vous me demandez parfois : comment agir à notre échelle ? Que peut-on faire, de là où l’on est, pour agir contre ces injustices ? Vous pouvez soutenir ces associations sur place, en partageant leurs combats et en diffusant leurs appels aux dons. Leur courrier au Premier ministre Donald Tusk, leurs actions méritent notre attention. Partager leurs actions, dans votre entourage ou en ligne : c’est déjà agir.
S’informer, arriver jusqu’à la fin de ce journal de terrain, c’est aussi participer au combat. C’est être au courant, et pouvoir en parler autour de vous, informer sur les conséquences concrètes de politiques migratoires toujours plus dures.
Si la situation à la frontière Pologne-Bélarus vous intéresse, je vous invite à me rejoindre au cinéma Le Balzac, à Paris, à la projection en avant-première du film réaliste et déchirant Green Border de la réalisatrice polonaise Agnieszka Holland, le 19 janvier, à 20 heures. J'interviendrai lors de cette séance pour évoquer mon déplacement sur le terrain et comment le Pacte européen asile et migrations prochainement adopté rendra nos frontières plus hostiles et meurtrières encore. Il sera ensuite dans toutes les bonnes salles de cinéma de France à partir du 7 février. Soyez nombreux·ses à le découvrir et en parler autour de vous : sensibiliser, c’est aussi agir !